Hypnoses et douleurs neuropathiques

Docteur Jean-Pierre Alibeu : Anesthésiste-réanimateur, médecin de la douleur au CHU de Grenoble

Article publié dans la revue « hypnose et thérapies brèves » N° 47

 

« Les douleurs neuropathiques (DN) sont diverses, elles s'expriment parfois sous la forme d'un syndrome, comme dans le syndrome douloureux régional complexe, ou associées à un syndrome comme la fibromyalgie, qui peut mener à des prises en charges particulièrement complexes. La faible réponse à des traitements lourds et à très long terme justifie l'utilisation de plus en plus fréquente de l'hypnose et de techniques non médicamenteuses en association avec des thérapeutiques conventionnelles.

Le retentissement affectif et émotionnel propre à la DN est pratiquement constant et responsable d'une altération de la qualité de la vie. Les DN ont des répercutions sur les relations sociales.

La complexité des douleurs neuropathiques fait que seule une prise en charge pluri-disciplinaire peut amener à une amélioration. L'hypnose médicale est donc un outil supplémentaire qui se rajoute aux traitements pharmacologiques et elle produit un effet plus durable ( plusieurs mois ou années) par rapport aux autres traitements non médicamenteux.

Le but de l'hypnose, à la lumière des connaissances actuelles sur la nociception et les réseaux neuronaux qui réagissent à l'hypnose, est d'agir sur les cibles centrales qui contrôles absorption, dissociation et vécu sensitif et émotionnel de la douleur.

Il sera important de terminer le travail thérapeutique en hypnose par un apprentissage de l'autohypnose qui a bien montré son efficacité et permet au sujet d'éviter l'angoisse d'un éventuel retour de la douleur qui le trouverait démuni.

 

Les techniques utilisées en hypnose et les métaphores que l'on va proposer au sujet sont fonction de la symptomatologie et du vécu de celle-ci. Les douleurs sont parfois très localisées, parfois très diffuses, accompagnées ou non d'un malaise général, existentiel, désocialisant. Il y a urgence à remettre le patient en marche, car il a le sentiment d'être arrêté, en panne au bord du chemin.

Le type de douleur peut orienté également ; si par exemple il y a une sensation de piqûre qui prédomine, il est possible de la transformer en la rapprochant de quelque chose de positif qui a été vécu, ou peut-être imaginé (quelque chose de bon pour le sujet, qui peut le guérir), ou en décontaminant une expérience malheureuse ancienne (injection dans l'enfance : « ça me rappelle quand j'étais hospitalisé... »). un travail sur la restauration de la confiance en soi va également renforcer les contrôles inhibiteurs de la nociception.

Il n'y a donc pas de recette malgré ce que l'on aimerait avoir par facilité : l'hypnose est une rencontre avec une personne, une histoire, une clinique, et le thérapeute va proposer une réponse personnalisée dans un accompagnement partagé et bienveillant. Les techniques d'hypnose que l'on peut proposer sont multiples. Les métaphores peuvent cibler la symptomatologie périphériques : faire diminuer la douleur en intensité (gant magique,...), en volume (les fruits, …), la décortiquer, la déplacer, l'évacuer, la remplacer par une autre sensation. Les métaphores peuvent aussi s'attacher à la sensibilisation centrale : technique de nettoyage (Rossi), de reconnexion, apaisement (bon souvenir), mise en sécurité, légèreté, liberté.

La spécificité n'est pas dans la recette, mais dans la rencontre personnalisée. On retrouve dans la littérature quelques tableaux cliniques qui ont fait l'objet de publications décrivant leurs particularités vis-à-vis de l'hypnose :
 

  • douleurs sourdes : bouillotte qui réchauffe et relaxe ; imagination de l'injection d'un produit antalgique ;

  • douleurs aiguës et douleurs lancinantes : image de glace, de mollesse, comme du caoutchouc, ou au contraire de dureté ;

  • brûlure : application de lotion froide et apaisante ;

  • crampe : alterner relaxation et tensions, synchroniser avec la respiration ;

  • céphalée : technique du fruit qui diminue.

 

Les douleurs d'amputation : l'apprentissage de l'autohypnose a permis à ces personnes de réduire les douleurs liées à l'amputation, de réduire la prise de médicaments, et ainsi de diminuer les effets secondaires inhérents à ceux-ci.. l'objectif central est de considérer le membre fantôme comme une prtie réelle du corps, d'accepter son existence comme validée mentalement et d'éviter de traiter le moignon comme la seule source de douleur. Il y a aussi un travail d'acceptation, de deuil, de libération de toute culpabilité à associer.

 

L'algie vasculaire de la face : dans cette pathologie douloureuse d'une redoutable intensité douloureuse, parfois suicidaire, l'hypnose a pu montrer son efficacité même chez un patient en crise.

 

Les douleurs temporo-mandibulaires : l'hypnose a permis une diminution de la douleur journalière et une augmentation des stratégies d'adaptation permettant la réinterprétation des sensations douloureuses et une diminution du nombre de sites douloureux, des réveils nocturnes, de la somatisation, des obsessions et de l'anxiété.

 

Les douleur pudentales : il s’agit d'une douleur du périnée. L'hypnose s'attachera à remettre du calme dans la sphère neurovégétative, redécouvrir la légèreté, remettre du sens.

 

L'algodystrophie : il s'agit de remettre, grâce à hypnose, le membre atteint dans l'intégrité du corps du sujet qui l'avait exclu.

 

La fibromyalgie : l'autohypnose permet une diminution significative de la douleur et son maintient.

 

La sclérose en plaque : l'autohypnose permet un diminution plus importante de la douleur et de l'inhibition de la douleur que chez les patients pratiquant la relaxation musculaire, cette amélioration se maintient à trois mois.

 

Pour conclure:

Dell caractérise l'hypnose comme un mode motivé du traitement de l'information permettant à la plupart des gens de modifier, à des degrés divers, l'expérience de leur corps, du soi, de leurs actes et de leur monde.

Chacun souffre à sa façon, quelque soit le motif de sa souffrance. Toutes les douleurs et les souffrances se gonflent et se colorient de plus anciennes douleurs qui revivent en chacun de nous : la douleur que je ressens est bien ma douleur, parce qu'elle porte le sceau au plus intime de mon passé. Il s'agit donc, pour les DN, de profiter du fait que l'hypnose modifie la perception en général et d'exploiter ce pouvoir pour créer un monde fantasmatique ou onirique où se promène le patient durant la transe hypnotique pour réparer et pour soigner ce qui doit être. »